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Jacques Ars

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- Eekhoud -

 

Le Bouquiniste et Luc encore à la Bernique hurlante !

 

livres en vente sur ce site d'Eekhoud

 

EEKHOUD, Georges (1854-1927). Un de mes Chouchous fin de siècle.

Escal-Vigor. Publié en 1899, c’est un de ces pas si rares romans -mais mal référencés et très peu connus-  traitant d’homosexualité sans détours dès la fin du XIXième siècle. EEkoud a l'originalité de parler d'une homosexualité virile et de  porter sur les fesses des prolétaires une attention très marquée. Comme quoi, les belges devaient déjà être en avance sur nous. Il valut à son auteur un retentissant procès, qu’il gagna et qui ne l’empêcha pas d’être prof à l’Université nouvelle de Bruxelles jusqu’en 1917. Henry de Kehlmark, comte d’une île flamande où il a son château d’Escal-Vigor, tombe éperdument amoureux d’un petit vacher. Mais deux femmes sont amoureuses de lui. L’orpheline protégée de sa grand-mère, et la sœur du vacher... Lors d’une kermesse-saturnale dont Eekhoud a le secret, les femelles en rut se vengeront de ces hommes qui leur échappent. Le tout émaillé, comme d’habitude, de plantureuses fesses d’ouvriers et de paysans flamands auxquelles Georges n’a jamais visiblement résisté. Juste un petit extrait pour prouver l’avance sur son temps de sa défense de l’homosexualité : « Combien de fois en des milieux moins cultivés, lorsque j’entendais flétrir, avec des gestes et des sobriquets horribles, les amants de ma sorte, ne fus-je pas sur le point d’éclater, de proclamer ma solidarité, avec les prétendus transgresseurs et de cracher au visage de tous ces incapables honnêtes gens! » (p.140).

Toulouse, Ombres, 1999 (Petite bibliothèque),187p. C’est mon petit mari Luc, qui m’avait fait ce cadeau de Belgique. Paris, Mercure De France, 1899.   

La Faneuse d'amour. Dans un style assez naturaliste, une « parvenue-comtesse » de morale assez catholique n’oublie pas son désir fou d’homme de la plèbe, « grand brun membru, large d’épaules, ferme des reins [...], solide sur [ses] jarrets [...]. Elle se rapprochait assez pour entendre craquer à ses mouvements de jeune taureau ses bragues de courtil et sa chemise ouverte sur la poitrine » (p.97). Désir hors classe sociale, couverture d’un désir homosexuel? Bruxelles : La Renaissance du livre, 1926.

Kermesses. Certes, l'appellation de « Pasolini des Flandres » pour cet écrivain à cheval sur le XIXe et le XXe siècle est un peu exagérée, mais le style naturaliste de ces petites histoires flamandes est truculent avec leurs « hommes de la glèbe, membrus, bien facés, carrés d'épaules, largement » (p. 63).

La Renaissance du livre, [s.d.]    

Voyous de velours ou l'Autre vue. L’illustration type de la peur provoquée par l’homosexualité chez le bourgeois : le rentier qui se met à aimer les ouvriers et renie ainsi sa classe sociale. Passages des descriptions de ces « voyous de velours » : « Allongés au flanc d’un talus, ils se vautrent le nez dans l’herbe et leur croupe saillante ajoute des mamelons vivants aux ondulations du terrain » (p.58). « Rose et poupin comme une fille, mais râblé et fessu comme un lutteur, avec des bras d’acier, encore plus beau que les autres fleurs humaines de sa saison, jeune dieu que ses haillons de velours rapiécés affublent de feuilles mortes et d’écorce moussue » (p.164). « L’âge auquel je les préfère? Aux approches de la conscription et parfois, plus tôt encore, dès l’époque où l’apprentissage d’un métier et les premières escapades commencent à leur donner du roux [...]; à la minute climatérique où la mue rogue et dyscole, fanfaronne de vice et de cynisme, prodigue aussi de câlines gaucheries et de naïves détentes; à la saison où ils jettent leurs gourmes en s’abandonnant en toute licence à leurs postulations de moineaux francs, pillards, batailleurs et voluptueux » (p.36, à lire absolument avec la p.37). « Ils me paraissent tellement saturés de vie et de jeunesse, que je m’évoque jusqu’au graillon de leur baiser et la saumure de leur salive! » (p.64).

Bruxelles : Ed. Labor, 1991, 190p.                       Paris : Editions Mercure de France, 1904.

La Nouvelle Carthage. Un roman écrit à la fin de sa vie où, dans un style assez usé, il rappelle ses autres romans. Vers I86O, à Anvers,  période d'industrialisation de la Belgique, des "nouveaux capitalistes" adoptent un neveu orphelin ; amoureux de sa cousine mais rejeté par sa nouvelle famille, celui-ci peu à peu prend le parti des "prolétaires" dans un monde d'affairistes  peu scrupuleux. Le style naturaliste de l'auteur permet des descriptions très homoérotiques où domine l'amour du muscle : "La croupe pleine modelée sur la poupe même du navire ; les jarrets musclés fléchissant très peu à chaque pas; asseyant d'une main la charge des omoplates, l'autre poing à la hanche. Des dieux !" (p142)."A la longue, Paridael (le héros) contractait leurs habitudes de corps, leurs déhanchements, leurs étirements, leur locution lente et farcie. Le fumet de ces dessous de métropole florissante condimentait sa vie, longtemps insipide. Il s'adaptait à ses entours. Certains jours il se culottait, comme les "capons du rivage", de dimittes boucannées et de pilous rogneux, ouvrait sur la blouse courte du débardeur le vieux paletot à basques flottantes, se coiffait de la casquette marine à visière impudente, du piriforme ballon de soie cher aux bateliers ruraux, d'une pétase picaresque ou même d'une simple natte à figues croustilleusement pétrie. Dans cette tenue topique il se débraillait, se dépoitraillait, roulait des hanches, frétillait de la langue, traînaillait des savates, entre-choquait les sabots. Adossé au mur d'un hangar, la joue fluxionnée d'une chique, les bras nus, il se caressait les biceps avec des coquetteries de tombeur forain ou, la main à la braguette, rajustait d'un geste cynique ses chausses toujours tombantes, ou tourmentait le fond des ses poches et, en quête de gredinerie, béait, musait des heures au va et vient des passants ."(p351).

Eekhoud a souvent beaucoup de modernité  pour dénoncer la pollution de ces premières usines, la destruction du patrimoine moyen-âgeux ou l'ignominie qu'a été la "traite des blancs" pour les candidats à l'émigration aux Amériques. Il rappelle ici aussi une profession singulière "les runneurs", sorte d'attrape-marins qui sévissaient en avant du port d'Anvers, accostant par dizaines les bateaux, enivrant les équipages, et tondant avec la complicité d'un tenancier de bordel le marin en permission : "une engeance interlope, d'industrieux amphibies que Laurent avait le loisir de détailler : courtiers marrons, estafettes de mercantis, drogman de mauvais lieux, ou, à des échelons inférieurs encore, pilotins réfractaires, garçons de cambuse en congé forcé, rôdeurs de quai, gibier  de la correctionnelle, fretin des pénitenciers, généralement désignés sous l'appellation de "runners". Des adolescents imberbes, de dégourdis bouts d'hommes, noctambules comme des matous, insinuants comme des filles : asticots des pêcheries en eau trouble. (p 158)" et qui attirent le héros dans ses nuits plébéiennes : " Les habitués du lieu s'allongeaient au petit bonheur, le plus souvent tout habillés, sans prendre garde aux coucheurs voisins, âges et sexes confondus, dos à dos, ventre à ventre, tête-bêche, grouilleux, incontinents. Cette promiscuité déterminait des accouplements presque inconscients et somnambuliques, des méprises amoureuses, parfois aussi des prises de possession poivrées de carnage, des scènes de jalousies et de rivalité se prolongeant jusqu'au chant du coq. Et par ces nuits chargées d'ozone, les désirs crépitaient à fleur de peau comme les feux follets sur la tourbière. " (p352).

Dernière petite note amusante, p 307, apparaît un interlope coiffeur, fournisseur de clients pour bordel et qui s'appelle Gay  !!!  Coïncidence ou vision d'avenir ??? Le Mercure de France, 1914. Ière édition : Bruxelles, Lacombez, 1893 ou 88 ?

Le Cycle patibulaire. Paris, Mercure de France, 1896. Publié aussi par : Première série.  Paris : La Renaissance du Livre, 1927, , 206p. Deuxième série. Bruxelles, la Renaissance du livre, 1927, 234p

 Le Quadrille du lancier et autres nouvelles. Lille : Éditions GKC (Gay Kitsch Camp), 1992. Les Libertins d'Anvers: légende et histoire des Loïstes. Paris : Mercure de France, 1912. Mon bien aimé petit Sander Lettres de Georges Eekhoud à Sander. Lille : Éditions GKC (Gay Kitsch Camp), 1993. Un Illustre uraniste. Lille : Éditions GKC (Gay Kitsch Camp), 1996. L'Autre vue. Mercure de France, 1914.

Mes Communions. Bruxelles: Henry Kistemaeckers, 1895. Une suite de nouvelles dont la plus-part sont homosensuelles ou homosexuelles. Le style manque de « croupes » naturalistes, comme il sait le faire dans d’autres romans « Superbes de formes charnues et de vêtures roussies, marinée dans les plus âpres acides des tracasseries judiciaires et les subversions les plus épicées, cette venaison humaine se traînait en s’amusant à secouer continuellement la poussière comme en un symbolique geste de malédiction » (p 300). Pas de misérabilisme, juste l’illustration de sa foi dans l’amour homosexuel qui rend meilleur, et qui transcende les classes sociales. Notons Climatérie, p 29, deux ados de collège, en tout opposés, finissent par s’aimer. Appol et Brouscard, p 221, deux truands amants que l’un finit par tuer quand l’autre le trompe avec une femme. Avec cette petite pratique homosexuelle : «  Grands enfants, superstitieux comme tous les impulsifs, en prévision de leur retour à la vie libre, dans l’espoir de conjurer la dissolvante influence que le monde extérieur exercerait sur leur cousinage, ils s’avisèrent de sceller ce lien par un pacte solennel, et recoururent à une pratique commune aux soldats, aux matelots et aux sauvages : chacun se fit tatouer par son ami au-dessus du sein gauche deux mains enlacées accompagnées d’une incendiaire devise, et ils avaient aspiré pieusement à la chair l’un de l’autre le sang qui sourdait de cet emblème sacramentel !. » (p 241). L’amour d’un avocat et d’un petit truand, que son amant n’arrive pas à sauver d’un procès, Le Sublime Escarpe, p 287. Et un aristo qui cherche dans les bouges de banlieue « un suicide » homosexuel, et fait d’un petit truand un anarchiste généreux, Une Mauvaise rencontre, p 257. Le Styge, p 321, est un hymne à l’amour de l’amant mort « O ne détournez pas ce calice de moi, Seigneur ! Dussé-je ne plus en vider que la lie, mais que ce soit en ces Pâques de bourreaux et de martyres où les pires iniquités s’expient et se rachètent en des enfers d’amour furieux et tellement dévorateurs que l’on dirait plutôt les paradis de la haine ! » (p 327). Notons dans le Coq rouge, p 57, une pratique belge assez étrange, celle de la vente des assistés  (indigents, vieux, débiles) de la commune, aux enchères à la baisse : je prends celui-ci pour 20000f de pension annuelle, non moi pour 18 000f etc etc… Il y a aussi beaucoup de marins, comme Burch Mitsu, et la plus moderne, Une Partie sur l’eau, p175. Et puisque Eekhoud est mort depuis plus de 70 ans, je ne résiste pas au plaisir de la recopiée :

    «  Radieux quoique un peu triste ; tristes tout juste ce qu’il sied pour nous croire heureux, ô ma chère âme, pauvre frère, nous nous sommes embarqués ce midi-là sur l’Escaut, comptant nous rendre d’Anvers à Tamise.

    La yole quitte la rade, mais, calme plat;

    Nos deux matelots, deux brunets candides et rudes, beaux comme des mousses au début de leur carrière, tentent vainement d’accorder la voile à la brise. Il leur faudra ramer, ramer… Tant pis. Ils y vont plein cœur.

    Après des heures de jour un peu cru, le soir tombe lentement, distribuant ses magies dans le grand ciel septentrional où se cabrent les nuées violâtres et cuivrées.

    Nous croisons des chalands et des voiliers en tournant le dos au panorama de la grande ville et en ne regardant que nos rameurs, et en ne rapportant qu’à ce couple savoureux toutes les incantations vespérales qui nous circonviennent.

    Hé hisse ! Ils se renversent comme pâmés. Hé hop ! Ils se redressent comme offensifs. Ils se ramassent pour se détendre et s’allonger de nouveau, rythmiques.

    A ces taquineries du vieux fleuve par les avirons de nos deux adolescents, gagnerons-nous jamais Tamise ?

    N’importe. N’arrivons pas ; voguons sans hâte puisque nous devrons les quitter en abordant. C’est ta pensée et aussi la mienne. Jamais plus étroite connivence ne régna entre nous. Le délice de nous trouver avec deux compagnons qui ne sont pas des « nôtres » ; avec deux garçons tout simples auprès de qui nous ne serons pas forcés de faire des phrases et de nous récrier d’admiration, pour la galerie ; ou même de parler d’amour. Comme si l’on pouvait jamais parler d’amour !

    Ceux-ci, par exemple, n’articulent que de rares vocables mais en leur galbe et en leurs gestes réside une suprême harmonie, et nous nous régalons de leur présence, et leurs mots vulgaires contractent de mystérieuses significations. De toute leur virile personne émane le parfum des chênes ; un parfum qui fortifie les sentiments et met en fuite la bagatelle.

    O cette heure et ces éléments, combien favorables aux mélanges psychiques !

    Et voilà comment il se fit, qu’isolés, à quatre, deux pauvres diables et deux amants remontèrent sans y songer le cours du grand fleuve très occupés, le sournois charmeur, de leurs étourdies petites personnes…

    Volupté indicible de se traiter en égaux ; puis même, insensiblement en pareils.

    Eux s’absorbent en nous, quitte, nous autres, à nous incorporer dans eux. Ah ! communier ne fût-ce que durant une nuit sous les espèces du pauvre diable. J’ignore comment tout cela finira. Mais quelle appréhension, à l’idée que cette bonne entente devra finir.

    - Autant d’heures pour arriver ! disaient-ils au départ, et la traversée vous coûtera…

    Quelle somme ?

    Nous nous en moquons pardi ! Nous leur donnerons tout ce qu’ils voudront. Leurs yeux, dignes des horizons et des vagues, nous répondent : « Tout ce que vous voudrez ! » On ne parlera plus ni du temps, ni du prix. Convenu.

    Pour sceller le pacte nous bûmes fraternellement à la même leur bouteille de genièvre qui passait à la ronde.

    N’est-ce pas que nous concertions à ravir ?

    Quant à me rappeler ce qu’ils nous déclarèrent, autant vous répéter très mal l’éternelle complainte des musiques de rue. Les notes changent, la voix reste. Ou prenons que ce fut une romance sans paroles.

    Qui donc aimerai-je à outrance ce soir-là au fil de l’eau, sous les nuées sardoniques et sur le fleuve lubrifiant, entre deux rives presque pareilles bornées de digues herbues, tout juste assez hautes pour nous masquer les plaines d’alluvion à la fois grasses et farouches, les Polders de si navrante bonhomie…

    Quatre, comptions-nous tout à l’heure, deux pauvres diables, et deux amants !…

    Oui, nous sommes quatre, mais quatre pauvres diables, autant d’amants !…

    Les deux gars consentent à tout ce qui les entoure, même aux mouvements de nos tendresses et des leurs ; les leurs devenues les nôtres, les mêmes, les seules.

    Combien de fois ont-ils abandonné les avirons, combien de fois les avons-nous repris ? Je me rappelle que parfois nous ramâmes à deux ; l’une fois aussi j’étais le partenaire de l’un des matelots, la fois d’après je m’appariai à l’autre rameur.

    A mesure que s’écoulait cette soirée magnétique, nous nous sentions de plus en plus rapprochés. Nos pensées se tutoyaient et se cherchaient comme des bouches ; nos pensées étaient des baisers, et par peur de paraître moins confondus que ces caresses, nous nous taisions, frileux, ou nous ne murmurions que ces mots spasmodiques qui suspendent les battements des cœurs saturés de délices.

    Nous avions échangé nos coiffures. Leurs casquettes à visière droite ragoûtaient nos physionomies blafardes et nos chapeaux ne dénaturaient pas trop l’expression de leurs ronds visages ambrés par le hâle mais aux joues roses encore comme celles des petiots.

    Et pourtant le chassé-croisé jusqu’au bout, je crois même qu’après une critique baignade où ils nous furent providentiels, nous étions entrés dans leurs bragues goudronnées et leurs jerseys de grosse laine bleue tandis que, râblus et carrés, ils faisaient sauter les coutures de nos complets de voyage.

    Avons-nous ri ? je ne sais plus. Mais si nous n’avons ri je jurerais que c’était sans en avoir l’air, et que nous nous livrâmes à ces folles mascarades d’un air très grave avec des propositions qui sonnaient comme des répons de psaumes…

    La nuit tomba, la pleine nuit ;

    Nous devions avoir atteint le confluent de l’Escaut et du Ruppel, car la nappe d’eau s’étendait très, très large comme si les ondes avaient voulu éloigner le plus possible les rives où nous attendraient, d’un côté aussi bien que l’autre, les humains que l’on voit et les choses que l’on fait tous les jours.

    Et plus l’eau maternelle élargissait son cercle protecteur autour de notre quatuor, plus nous nous aimions harmonieusement ; plus ils se livraient volontiers à cette caresse de leurs âmes balsamiques et plus ils se cédaient mutuellement aux effusions plus félines de nos deux consciences.

    Où avons-nous abordé ? En aval de Tamise dans doute ? Où avons-nous dormi ? A quel moment la vie conforme nous reprit-elle dans ses filets ? Après combien d’heures, hélas, nous remîmes-nous, en sauvant les fameuses apparences, ce que nous avions toujours été !

    Leur avions-nous seulement dit adieu à ces deux êtres d’élite qui nous imprégnaient la chair de leur cordiale essence autant que nous nous étions exhalés en leur appétissante enveloppe ?

    Pourquoi s’étaient-ils détachés de nous en reprenant leurs rugueuses nippes de marins et ne nous laissaient-ils d’eux-mêmes, de leur admirable pousse humaine, plus rien à voir, à toucher, à humer, ou même à penser ; en nous rendant, avec nos vêtements de terriens, nos visions coutumières, nos étreintes affaiblies, nos souffles éventés, et nos amours taries ? ». (p 175 à 180).

Les références de pages sont celles de l’édition La Connaissance, « collection des chefs-d’œuvre », Paris, 1925, 329p. Tirée à : I sur Japon unique, avec dessins originaux de l’artiste, avec suite des gravures sur Japon, Chine et Rives portant la lettre A. 10 Japon impérial avec double suite des gravures sur Japon et chine. 100 Hollande Van Gelder Zonen, au filigrane La Connaissance, avec une suite des gravures Hollande et Rives. 640 velin de Rives à la forme avec une suite des gravures, tous numérotés de 1 à 750. J’ai le 383.

Notons les gravures de Frans de Geetere dont certaines sont ici reproduites et qui font preuve q’une grande modernité.

Bon aujourd'hui le 29 09 2202 je reçois cela :

Je n'ai jamais rencontré une analyse aussi sympathique et aussi exacte (je sais le point de vue perso...mais) de l'oeuvre d'Eekhoud. Mais ce n'est pas très gentil de ne faire aucune mention du travail que je fais avec Patrick Cardon depuis dix ans pour mieux le faire connaître. Nous avons tout de même publié
Le quadrille du lancier
Mon bien aimé petit Sander (sa correspondance avec son ami Sander Pierron, retrouvée dans des archives à Anvers)
Un illustre uraniste (choix d'articles)
Sa traduction de l'Edouard II de Marlowe
Et le dernier : la traduction du scénario du flamand Hugo Claus, adaptation d'Escal-Vigor d'Eekhoud, jamais tournée, jamais publiée dans la langue originale, que j'ai traduit et et que nous venons de publier.
cfrt : http: //www.gaykitschcamp.com
Mirande Lucien .

Je sais que je suis très loin d'être parfait, mais c'est vrai que je me suis contenté de mettre un lien avec Gay Kitch Camp, malgré toute l'admiration que je porte à La Comtesse de Flandres, ma mère... Mais je ne vais pas refaire ce qu'elle fait si bien ! A bientôt ! L'erreur est-elle réparée ?

 

Proses Palastiques. Un petit choix de nouvelles, les Sorciers de Borght, Les protégés de ma Grand'mère, sur les bonnes de sa grand mère, femme très attachante visiblement, Amis d'enfance, Bino, sur un lièvre domestique qu'il a possédé chez lui, Kokkerjo, une histoire avec deux récits très scato, Mainfroi de Souabe, une histoire historique sur un homosexuel, prince des croisades.

Quelques extraits :

extrait 1 : les sorciers de Borght

Dédié pour la rime et aussi pour la raison Au Poète Ami Paul van der Borght

(p9).Il m'aura tardé de célébrer le charme bellement canaille de Borght, hameau de Grimberghe, - ce Borght pour l'amour duquel, ma sainte compagne et moi, nous allions pérégriner une fois de plus dans cette région de Vilvorde, - vile et orde sans doute au dire des prétendus gens comme il faut qui furent de tout temps les gens comme il ne nous en fallait pas.

En quelle étroite communion nous nous trouvions avec les naturels et même les décors de ce Borght. Nous ne cessions d'en subir une capiteuse nostalgie, de nous évoquer ces allées verdoyantes, mais poudrées à la prolétarienne, c'est-à-dire couvertes de la poussière des grands chemins et des chantiers. Même les châteaux et les villas se démocratisent, à preuve ce manoir de Tertommen, lequel, loin d' écraser d'un luxe ostentatoire les humbles bicoques avoisinantes, se tapit tout discrètement derrière des frondaisons, dont il partage les ombrages tutélaires avec les petites gens qui arpentent la grand'route voisine.

Que nous prisions la population excentrique, à la fois industrielle et agricole, de ce Borght au nom bref et guttural comme un juron de belle humeur! C'était par ces après-midi dominicales, des maraîchers, des ouvriers d'usines, des filles dépoitraillées et délurées, des commères rondelettes allaitant leur dernier-né, des gars râblés, sanglés de velours, aux croupes bombant sur la bécane ou rapprochées comme autant d'hémisphères, de mappemondes charnues, autour des mises d'un jeu de hasard.

Et les bonnes faces réjouies qui nous dévisageaient au passage! Que d'effluves ultra sympathiques s'exhalaient de ce peuple à la fois bourru et bienfaisant, rogue et caressant.

Combien de fois nous prit: l'envie de relancer nos faubouriens jusque dans leurs masures presque toutes sans étages, irrégulières, capricieuses couronnant les talus ou blotties en contrebas de la chaussée.

Jamais agglomération de logis ne fut plus adéquate à l'humeur, à la couleur, au grouillis, voire à la température de leurs habitants.

Borght! ce nom seul m'induit en camaraderie. Au temps de l'occupation allemande nous allions y oublier nos soucis et prendre parmi tant de déshérités une leçon de philosophie et de stoïcisme.

Mais c'était surtout avant l'ignoble guerre que nous venions en quelque sorte y ragoûter notre existence trop sédentaire de citadins forcés.

Que d'heures ne nous sommes-nous attardés en la croustillante promiscuité des meilleurs bouleux confondus avec des chômeurs et des irréguliers, voire avec de bien irresponsables transgresseurs.

Nous requéraient entre tous les briquetiers de l'endroit, poupards et fatalement briquetés. Oh! les braves gens!

Ils avaient fini par nous prendre sous leur protection.

Ainsi, en revenant de Grimberghe aux approches de Borght, nous ne manquions pas de contempler chaque fois, de l'accotement réservé aux pédaleurs, j'immense étendue des campagnes, vers Malines, au bout de laquelle se trouvait, carrée et trapue comme la race même, la tour Métropolitaine de Saint Rombaut.

Or, il arriva que littéralement hypnotisés par la magnificence du spectacle nous ne nous doutions guère de l'approche d'un cyclone de cyclistes que précédait un tourbillon de poussière.

Nous aurions même été infailliblement balayés si les jeunes briquetiers, jouant aux cartes de l'autre côté de la route, ne nous avaient interpellés en un français savoureusement farci de flamand, pour nous avertir du danger. Une fois, même, le péril étant plus imminent encore, brutalement providentiels, Ils nous happèrent pour nous tirer de l'autre côté !

Sans doute nos dégaines leur étaient-elles devenues familières et se trouvaient-ils flattés de nos apparitions périodiques toujours renouvelées, en leurs parages. Leurs visages s'épanouissaient si fraternellement à notre sourire !

Ils nous revoyaient surtout vers l'automne, l'arrière-saison où le temps gris, un peu frisquet, fait ressortir en les ouatant, en les chatouillant pour ainsi dire de ses brumes, le galbe et la silhouette souverainement plastiques de ces dégourdis maroufles.

D'aventure un rien de pluie ravive même la fleur de leurs nippes ou de leurs dessous comme il relève les aromes (sic) des écorces et des feuillées.

Ah, ce Borght sur le Tangebeek, bourgade de braves bougres!

Je multiplierais à l'infini les plus ronflants vocables du flamand pour me conjurer cette topique engeance; j'en ferais rouler les syllabes condimentées! Les noms mêmes des écarts avoisinants ré- sonnent suggestivement (sic). Non loin de Borght, ou du moins dans la même région, n'avions-nous pas Beyghem, Brusseghem, Eppeghem, Londerzeel, Strombeek, sans oublier ce Pont Brûlé, Verbrande Brug, où périt le caporal Trésignies, un héros pour de vrai celui-ci, car il conjura le massacre de milliers de ses frères, en se sacrifiant lui-même, lui seul?

Vers le cœur de Borght, près de l'églisette perchée sur un coteau, s'étale en contrebas de la grand'route, un étang arrosé par le Taygebeek. Rien de plus inoffensif en apparence que cette pièce d'eau et ce ruisselet. Et cependant une chapelle érigée sur la berge commémore l'inondation désastreuse et même meurtrière causée en 1839 par une crue de ces ondes d'ordinaire aussi placides que la physionomie des riverains.

Ces villageois non plus ne se fâchent que rarement! Mais alors gare la casse! Du moins ceux-ci ne sévissent-ils point sans raison, tandis que le Tangebeek n'avait aucun sujet de colère

Et encore ? qui nous révélera l'humeur mystérieuse des éléments?

C'est surtout de l'autre côté de la chaussée dans le plus romantique des vallonnets et jusqu'aux plateaux couronnés par la chapelle Saint Landry que nous aimions longer le Tange'beek au gré d'un sentier aussi capricieux que ses méandres.

Un lundi de mai encore, j'ai revu récemment ces adorables paysages. Feuillages verdoyants et variés, lumière comme lubrifiée, perspectives caressantes, de coteaux et de vallonnements, attendries au passage des nuées moelleuses, sensuelles, charnues serais-je tenté de dire.

Décors pleins de sympathie, attendant nos avances, allant eux-mêmes au devant de nos effusions. Enivrement tempéré de mélancolie! Délices du présent activées par le regret du passé! Harmonie totale du terroir et des terriens! De la volupté, mais inséparable de la bonté! Accord parfait, souverain mimétisme de ces glèbes printanières, odorantes et veloutées et de la race vigoureuse qui y peine, y turbine, mais s'y épanouit à tout son avantage! Communion absolue! Panthéisme!

Le cœur gros, avec des envies de pleurer. Un besoin d'étreintes, de pâmoisons suprêmes! Ah, m'épancher sur la bouche et le sein de Cybèle, dans les bras d'une légion d'aimés!

Et mes pas s'accordaient au rythme d'un méchant quatrain rimé lors de mon adolescence:

Je caressais avec bonheur

Le rêve d'un amour immense

Et je pressais dans ma démence

T out le genre humain sur mon cœur!

0 Tangebeek, tes crues furent désastreuses un jour, mais exceptionnellement, car comme chez les rustres qui peuplent tes rives, si ton état normal est la force, l'exubérance en est tempérée de charité. La traduction française de Tangebeek, ce nom flamand, serait « ruisseau de la Pince » (Ah oui, ce que j'en pince pour cette Pince! me ferait dire un argotier).

Vrai, ce que je les aimais ces rustres de Borght sur la Tang, comme j'en aimai et en aimerai encore beaucoup d'autres de ce plantureux Brabant et d'ailleurs! Lesquels choisir ou préférer? Sera-ce tel manœuvre revenant du travail, avisé dans un cabaret «Aux Trois Bayeurs» (ln de Drie Gapers) entre Tourneppe et Alsemberg; ou cet autre non moins costaud,culotté de velours à côtes, entre-vu entre Wemmel et le Drij-Pikkel, dans un estaminet encore, où nous nous étions réfugiés en attendant que s'épuisât l'averse et où nous patientions en faisant marcher le lamentable piano mécanique ? Timide, hésitant, quand la guimbarde se fut tue, le fruste et naïf garçon y alla aussi de ses deux sous pour faire moudre par ce moulin à musique le plus trivial des ponts-neufs. Et dire que cette serinette me parut exquise à moi-même rien qu à voir comme le simple s'en délectait. Le ravissement auquel il se laissait ailler! II ne s'y arracha que quand la mécanique eut lancé son dernier couac, pour se glisser au dehors, presque honteux de sa puérile béatitude !...

Ou sera-ce encore tel piocheur du chemin de fer qui s'écroula pour ainsi dire à mes côtés, le soir; dans une voiture de tramway, et qui légèrement émèché, riait bénévolement d'un bon franc rire, riait presque à ses propres dépens. Sa casquette mal ajustée étant venue à tomber à mes pieds, je la ramassai et la lui rappliquai sur la tignasse. Or, comme parvenu à destination j'allais descendre de, la voiture, je me sentis tirer par un pan de mon vêtement. C'était mon sympathique pochard. toujours réjoui, qui me retenait pour me tendre ingénument sa bonne main calleuse, désireux de presser celle du serviable monsieur, en guise de remercîment. Et ce que je me prêtai à cette effusion reconnaissante du bon drille. Je regrettai même par la suite de ne pas être descendu plus loin avec lui pour le remorquer jusqu'à sa porte...

Et ce que j'affectionne encore ce journalier d'une usine attenante à mes pénates! Un crâne et diligent garçon. Voilà des années que m'enchantent ses allures! Il achève à peine son service militaire, et il nous est revenu aussi vaillant, aussi florissant, aussi besogneux et débonnaire que devant. Il équarrit le bois, il scie des planches, transporte des poutres et des ardoises, fourbit et astique l'auto de ses maîtres. Figure grave, réfléchie, mais lorsqu'elle s'illumine, combien ineffable d'expression ingénue! Elle sue la loyauté en même temps que l'énergie! Et le regard limpide de ses grands yeux bruns, éblouis comme au premier matin du monde ! Nous nous saluons, nous nous bornons à nous sourire, à échanger ,de familiers clins d'œil ou une coupIe de paroles banales. Je lui dirais l'intérêt que je lui porte si je ne craignais de le troubler et de l'effaroucher. Aussi ne saura-t-il jamais tout le réconfort, toute la raison de vivre que me valent sa présence, son voisinage, ses approches, nos brèves et furtives rencontres...

Chez le populaire bien plus que chez les bourgeois la beauté s'allie presque toujours à la bonté. La plupart du temps, les manuels l'emportent moralement sur les intellectuels, même sur tant de pré-

tendus artistes combien gourmés, renfrognés, envieux, égoïstes, histrions, poseurs et cabotins, sur- tout depuis la Grande Guerre qui ravala l'ancienne élite au niveau des pires mercantis et réduisit le plus gros de la présente production artistique à de flagrante imposture ou de l'abominable camelote! L'art ne se régénérera que par l'amour, c'est-à-dire par la grande, la sérieuse poésie du peuple, « cette forme d'art » a très bien dit le sociologue Eugène de Roberty, « que nos nomenclateurs et classificateurs d'esthétiques négligèrent systématiquement. »

Et c'est pourquoi insensible à tant de contemporaines élucubrations plastiques, musicales et autres, je m'attendris de plus en plus sur les simples, les primaires, sur tous ces pauvres, modèles incompris et rebutés, d'autant plus adorables qu'ils n'ont nullement conscience de leur prestige et de leur vertu.

C'est avec ceux-là seuls que je fraternise d'emblée, c'est presque exclusivement chez eux que je savoure un fumet de véritable humanité et que me requiert un héroïsme quotidien non exempt de tragique, que m'apitoient cette beauté et cette force généralement soumises aux plus rudes servitudes. Mais encore celles-ci sont autrement nobles que toutes les conventions auxquelles nous nous résignons nous-mêmes, artistes aussi frivoles, aussi conformes et timorés, aussi esclaves des préjugés et du soi-disant respect humain que les pharisiens, les snobs et les tartufes dont nous nous gaussons et que nous affectons de mépriser.

L'avouerai-je? Même en peinture je n'aurai trouvé que rarement comprise et réalisée l'émouvante, la pathétique beauté du prolétaire.

Elle le fut exceptionnellement et cette fois jusqu'au sublime par notre Hugo Van der Goes, sous la forme de ce berger illuminant pour ainsi dire de son âme naïve, élyséenne, le triptyque des Portinari, un des joyaux du Musée des Uffizi à Florence.

A contempler ce pastoureau on en oublie les anges, la Vierge, l'Enfant jésus, même l'âne et le bœuf, si simples pourtant. Non, rien ne me vaut l'éblouissement de cet auguste va-nu-pieds, dans la fleur de l'âge, la bouche ouverte, dénonçant une saine denture de louveteau. On respire presque son haleine à ce béat. Et quels yeux d'une ferveur indicible! Pas joli garçon dans le sens adonysiaque, mais bien mieux, un parangon de splendeur virile. Rien de fat ou d'avantageux. Et cependant, mieux qu'un prêtre ce croyant nous ferait croire au miracle de la Nativité. C'est cette image qui me rappelle, me résume le plus intensément tous les chers braves pitauds qui m'apparurent, bien vivants, en chair et en os, aux carrefours de mon existence. Elle les synchrétise pour ainsi dire et faute de pouvoir serrer la main à toute l'humanité laborieuse, de donner une accolade passionnée à la Nature entière, de panteler au rythme du cœur immense de l'univers, je m'arrête devant l'effigie suprême de ce que le génie humain engendra d'ineffable. A m'en rassasier les yeux et même l'âme quatre fois à Florence, je revoyais mes aimés et mes élus de Borght et du Tangebeek.

Ah! cette évangélique image me les commémore tous, mes bienvoulus, les disparus sitôt que rencontrés, les éphémères adorables!... Du moins puis-je m'en régaler tout à l'aise puisque j'en possède la photographie. Elle m'ouvre alors le défilé de tous ces aimés. Je me rappelle, avec une nostalgie si poignante qu'elle m'arracherait le cœur, tant de conjonctions trop furtives du genre de celles que j'énumérai plus haut. Grâce à ce berger de Van der Goes, je supplée par l'imagination à des camaraderies à peine ébauchées où il me suffisait d'un frôlement, d'une brève entrevision, pour me suggérer de fraternelles étreintes, un coude à coude à défaut d'un perpétuel corps à corps, ou plutôt d'un cœur à cœur de tendresses!

Cet Hugo Van der Goes me fixe une minute, une seconde de tête-à-tête avec un compagnon pauvre mais florissant de santé physique et morale. Combien j'aspirais à une seule mais pleine journée communiante auprès de pareils taiseux, de l'un ou l'autre de ces parias déguenillés! A deux, nous aurions éprouvé sans qu'il fût besoin de nous le dire, une copénétration à la fois sensuelle et sentimentale. Nous aurions concerté en l'Amour absolu, quitte à souffrir mille enfers à la suite de l'inéluctable séparation de nos deux destinées. (p 22).

extrait 2 : Kokkerjo (p 121) (…) J'avouerai même que le grand honneur qu'une édilité amie me conféra, en donnant mon nom à l'une des voies rectilignes modernisant ces solitudes rustiques, ne me console guère de la disparition des décors agrestes, auxquels cette ville neuve se substitue despotiquement.

Alors que les travaux à accomplir en vue de cette métamorphose venaient à peine d'être inaugurés, j'eus la curiosité d'aller revoir les terrains qui m'étaient si chers et si familiers sous leurs aspects primitifs. Comme au cours de ce pèlerinage je m'étais rendu à peu près compte de l'emplacement où serait tracée l'avenue destinée a illustrer mon humble nom, il se produisit un incident assez incongru, auquel les circonstances prêtaient une portée ironique et qui aurait contribué à me rappeler à la modestie pour le cas où les témoignages de l'estime officielle, désormais consignés dans le cadastre, m'eussent induit à m'exagérer mes faibles mérites.

C'est aussi pourquoi je vous rapporterai la chose au risque de vous offusquer. Que Rabelais, Cervantès et notre Adrien Brouwer me soient secourables!

Il se fit donc qu'en errant de remblai en tranchée, comme j'escaladais un plateau de terres rapportées, j'avisai un beau, jeune et robuste tombelier débouchant des chantiers voisins en courant à toutes jambes et en donnant des signes d'impatience. Des hauteurs sur lesquelles j'étais posté, je vis cet ouvrier se précipiter dans une sorte de bas fond. Parvenu à cet endroit, il se dessangla prestement et ayant exhibé une superbe paire de fesses dont le ton rose vif s'harmonisait avec le velours marron de ses grégues, l'ambre clair des sablons et le bleuté de l'atmosphère ensoleillée, il se mit en devoir de se soulager copieusement. L'opération fut assez longue sinon laborieuse et, à ce que je présume, infiniment profitable. Mon tombelier ne se dépêchait pas, prenait son temps, se plaisant à aérer ses plantureuses callipygies.

Enfin, il se redressa sur ses jambes, se torcha sommairement d'une poignée de feuilles mortes et se rajusta en se cambrant à son avantage, et,tout en regrimpant le talus, ceignit et serra la courroie de sa culotte.

Ce fut alors seulement qu'il m'aperçut à son tour. Il va s'en dire que je l'avais observé à la dérobée en y mettant le plus de discrétion possible et en feignant de poursuivre mon chemin. Nos regards se croisèrent furtivement; je ne pus m'empêcher de sourire d'un air approbateur et il eut, lui, la mine non moins réjouie du peinard ragaillardi, ayant la conscience aussi nette que ses entrailles et s'étant acquitté de ses fonctions naturelles comme de tout autre devoir. Puis, en sifflottant (sic), il regagna son tombereau confié à la garde d'un camarade. Le cheval hennit de joie à son approche, impatient de démarrer.

- Brave homme! me disais~je en m'éloignant de mon côté. C'est ainsi qu'aura été inaugurée par l'engrais d'un robuste manœuvre, l'avenue du romancier des parias et des humbles qui les apprécie jusque dans leurs privautés les plus intimes!

Et telle fut la moralité que je tirai de cette scène. (p 124). Ajouté le 24 décembre 2002. Bruxelles, La Renaissance du livre, 1929, 148p.

 

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