Rennes
L’archevêché n’aime pas le programme
Rennes vit actuellement une bataille bien particulière. Les
protagonistes le sont aussi: une salle de cinéma et Notre-Sainte-Mère l'Eglise !
L'Arvor, c'est le nom du cinéma, ne serait aujourd'hui qu'un
lointain souvenir si, voici dix ans, une équipe de bénévoles, tous fous du
Septième art, n'avait décidé de prendre en charge l'animation de cette salle
paroissiale. Aujourd'hui c'est une des meilleures salles d'art et essai de
France. Quarante mille entrées en 1981. Tout allait pour le mieux jusqu'à ce
qu'une lettre de l'archevêché, le 27 novembre dernier, mette l'association des
animateurs en demeure de quitter les lieux début juillet 82. Motif: un tel
cinéma présente des dangers d'ordre moral et éducatif sur la paroisse
Saint-Hélier.
Pas facile de parler à l'évêque de Rennes! L'archevêché vint
d'emménager dans ses nouveaux locaux. l'ancien séminaire, grande bâtisse un peu
« caserne » qui se vidait ces dernières années par crise de vocations. Le monde
est détraqué, que voulez-vous! Une standardiste, un peu dépassée, qui se démène
avec un central téléphonique d'un autre âge... c'est du moins ce que j'imagine,
l'oreille pendue au téléphone. J'ai déjà appelé voici trois jours, mais on s'est
contenté de me communiquer ce que je savais sur un ton de « c'est comme ça et
pas autrement ». Enfin, une voix au bout du fil : Monseigneur Plateau, évêque
auxiliaire de Rennes.
. Pour Gai Pied, quelques renseignements au sujet de
l'Arvor...
... Mais vous avez déjà appelé.
. Cette affaire a pris une certaine ampleur dans la presse et
je voudrais vous questionner sur l'homosexualité...
... Je ne vois pas l'intérêt en l'occurrence, mais posez vos
questions...
. Il a été dit que c'était la programmation de films
homosexuels qui avait inspiré vôtre décision...
… Entre autres. Ce n'est pas parce que l'homosexualité nous a
soudainement réveillés... Non, ce n'est pas notre propos. Notre propos est que
nous avons une salle entièrement à nos frais, dont l'entretien est payé par les
quêtes des paroissiens, or il se passent des tas de sujets qui ne sont pas en
accord avec l'éthique chrétienne, dont l'avortement et bien d'autres... En ce
qui concerne
l'homosexualité, la position de l'Eglise est clairement définie,
nous n'avons rien de plus â dire là-dessus.
. Vous pensez que c'est encore choquant?
Non. Nous pensons que c'est une affaire à ne pas débattre en
grand public, c'est une affaire à débattre entre gens sérieux.
. Vous pensez que /es catholiques ne sont pas capables
d'affronter ce genre de débat?
Si, mais pas avec n'importe quel film présentant des plaidoyers,
des incitations... Ça ne se présente pas devant un public tout venant, mais
devant des gens qui ont mission de réfléchir sur ce genre de problèmes... pas
seulement des spécialistes... mais, par exemple, un groupe d'adultes d'action
catholique qui veulent approfondir ce problème. Nous ne sommes pas des
fanatiques, nous ne sommes ni pour ni contre, c'est une réalité qu'il faut
regarder en face, comme toutes les réalités...
. La ville a pris contact avec l'archevêché. Vous espérez
aboutir à un accord ?
Je le souhaite, mais je n'en suis pas sûr. On veut bien
encourager cette association qui fait un travail intelligent... mais pas à cet
endroit. La proximité du lieu de culte nous gêne. Pour les gens du quartier,
c'est la salle de la paroisse...
. Vous pensez que ce genre de situation pourrait se reproduire
ailleurs ?
Nous ne cherchons pas à faire la chasse aux sorcières, ni à
pourfendre tous ceux qui ne sont pas dans l'ordre. Il s'agit pour nous d'éviter
des situations ambigües. Si nous enregistrons de nouvelles plaintes, ici où là,
nous examinerons la situation, s'il faut la clarifier nous le ferons.
. Vous pensez ne pas trop vous couper de la population ?
J'espère bien. La presse ne nous rend pas toujours service en
nous transformant en «Don Quichotte ». Nous sommes un certain nombre au conseil
épiscopal; nous avons pris cette décision en sachant qu'elle allait soulever des
vagues.
. Mais aujourd'hui les catholiques sont plus ouverts à
la discussion ?
Vous comprenez, nous sommes tout aussi allergiques à un
libéralisme l' économique tous azimuts et sans freins qu'à un libéralisme moral
de même nature... Pour nous, il y a des limites à la liberté des gens, c'est la
liberté des autres, c'est tout !
Propos recueillis par Yves Chatellier.
Cette menace avait déjà plané sur le cinéma l'année
passée, et il avait fallu l'intervention de la municipalité rennaise auprès du
cardinal Gouyon pour continuer à vivre. « Beaucoup de gens ont été choqués
par la programmation de certains films », affirme l'abbé Chesnais, recteur
de Saint-Hélier. Certes, il est difficile de proposer une programmation en
accord avec l'éthique catholique quand on veut aborder les sujets "délicats" et
permettre à certaines minorités de s'exprimer. «En fait, ce qui nous est
reproché, déclarent les animateurs, c'est un cinéma politique et militant
dont le but est la défense des opprimés, le droit à la
différence, la liberté des individus. Bref, un cinéma de gauche. Nous avons mis
sur pied une formule de cinéma pas cher en projetant des films qu'aucune salle,
à Rennes, n'aurait voulu projeter pour cause de : non rentabilité ».
Ainsi les rennais ont-ils pu découvrir les cinémas chinois, hindou, brésilien,
albanais... Ainsi ont-ils pu assister aux lundis
"Tiers-monde" du CRIDEV (Comité rennais d'information pour le
développement et la libération des peuples), aux semaines organisées sur
les prisons, les femmes, le nucléaire, l'éducation... Mais il semble que ce
soient les cycles sur l'homosexualité qui aient mis le feu aux poudres. Deux
semaines de cinéma pédé, un cycle Philippe Valois, un récital Gil Cerisay, sans
compter les rétrospectives Pasolini... Cela, sans aucun doute, a provoqué « la
réaction morale» de l'Eglise dans cette France où tant de libertés ont été
prises depuis le 10 mai ! Excellent prétexte pour faire récupérer un édifice par
un diocèse très occupé, ces temps-ci, à de grosses opérations immobilières...
Les animateurs ont entrepris une campagne d'information. La
presse locale et nationale, les radios et la télévision ont dénoncé vivement
l’attitude de l'archevêché. La municipalité, qui soutient le cinéma, souligne
son rôle culturel, et nombre d'associations locales travaillent avec l'Arvor.
La ville a même proposé d'acheter la salle. A l'archevêché, on ne
s'attendait visiblement pas à une telle réprobation. Si l'on y reconnaît que
l'Arvor est une, entreprise sympathique, on fait remarquer que les ouailles
ne peuvent dissocier l'Eglise du cinéma.
Quant à la proposition de l'archevêché de vendre aux animateurs
une parcelle de terrain pour « qu'ils y construisent leur salle », elle parait
bien hypocrite...
A quand les manifs devant l'archevêché de Rennes? Ce ne sera pas
triste. Il y en a qui préparent déjà leurs robes!
Yves Chatelier